"Dans l'avant-dernier jour de septembre, un groupe d'hommes, commandé par le lieutenant Raphaël Vallejo, entra dans la maison de José Alvaro Cruz à la recherche d'une paire de chaussures en bon état. Lorsqu'ils ressortirent de la maison un instant après, Raphaël Vallejo portait une paire de bottes sous le bras..."L'histoire se passe dans un village d'Amérique Centrale. Alors que le lieutenant essaie les bottes, le vieil Eladio, voisin et domestique de José Alvaro, s'approche des guérilleros. La rencontre est d'abord amicale, mais quand Eladio voit les bottes de son maître aux pieds du lieutenant, il veut les reprendre. Un des guérilleros, le jeune Eduardo, l'assomme et tous repartent vers les montagnes. Quand Eladio se réveille, il n'hésite pas un instant : il décide de se lancer à leur poursuite pour récupérer les bottes de son maître.
On va suivre Eladio dans sa quête à travers les collines. Mais son voyage va être bien plus long que ce qu'il avait prévu. Les montagnes où sont sans doute cachés les guérilleros sont à des jours de marche et le vieil Eladio n'a plus les forces nécessaires qui lui permettraient d'atteindre son but. C'est sa fierté, son courage, son abnégation qui vont le soutenir dans son expédition.
Le texte est fait d'un long monologue entrecoupé d'un échange sous forme de dialogue imaginaire avec son maître. Des descriptions sur la nature et les objets rencontrés sur son chemin entrecoupent le monologue intérieur.
Au fil des heures, sa marche devient un calvaire : il a faim, il a soif, il a froid, la fatigue le fait plier sur ses jambes. Il avance, même si des moments de désespoir l'envahissent. Sa raison reprend parfois le dessus pour l'inciter à renoncer mais sa fierté ressurgit et il continue d'avancer.
Avec les mots simples auxquels il nous a habitué, Hubert Mingarelli une fois encore, raconte une histoire dépouillée à l'extrême qui nous fait découvrir un homme capable de dépasser toutes ses certitudes et ses contradictions, les limites de sa fierté, de son angoisse et de sa raison pour arriver à l'essentiel, à ce qu'est la dignité humaine tout simplement. Mais nous savons nous lecteurs ce qu'Eladio ne sait pas : ce qu'il croit être de la neige qui tombe et qu'il a espérée n'est que brins de cendres qui donnent tout son sens au roman.
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Quelques extraits du roman :
"....Lorsqu'il s'assit au pied du buisson d'acacia, les choses se présentèrent toutes en même temps, et toutes enveloppées dans un morne désespoir : la soif, la fatigue, la douleur à son pied, et puis l'appréhension du froid qui guettait et ne viendrait qu'un peu plus tard, lorsque ses muscles se seraient relâchés, et après que sa sueur aurait pris la température de la nuit. Avant d'affronter tout cela, il se coucha sur le côté, la tête posée sur les chaussures de Vallejo, et ferma les yeux. Il n'espérait pas s'endormir, il voulait simplement attendre un peu avant de se mettre à souffrir..."
"... Et puis j'ai réussi à boire, j'ai trouvé de l'eau. Si ça, c'est pas une belle soirée. Il avait la tête légèrement levée, et malgré la disparition du soleil, le ciel était encore clair. C'est comme une lampe allumée derrière un mur, se disait-il, le monde ressemble à ça, ce soir. Et je suis loin de la maison, se dit-il ensuite, j'étais jamais reparti aussi loin..."
"...Il gémissait, se balançant d'avant en arrière. J'en peux plus, se disait-il, c'est terminé, j'en peux plus. Où est-ce que je suis? Merde à Dieu et à tous les saints, j'ai plus de courage. Je t'en prie, José Alvaro, pardon mais j'aurais tellement besoin que tu sois là, j'ai plus de forces et je sais plus quoi faire. Puis il se taisait, se frottait la tête, et recommençait à parler à José Alvaro Cruz.
Presque une heure passa dans ce profond désespoir. Il cessa lentement de se balancer d'avant en arrière. L'ombre de la maison le toucha. Il se passa la couverture sur les épaules, puis attendit encore, immobile à présent. Et lorsqu'il sortit de la cour, la couverture sur les épaules, Eladio était vide d'espoir et d'émotion, semblable à un rocher, courbé en avant, et il suivit le sentier qui passait devant la maison et la contournait par l'arrière..."
(Présentation : Anne-Marie Smith)