On connaissait Lucas Belvaux, comédien, réalisateur et scénariste, auteur notamment de la fameuse trilogie « grenobloise » : « Un couple épatant », « Cavale », « Après la vie ». Savez-vous qu’il a édité un premier roman qui se présente comme un thriller pour évoluer dans un tout autre registre, car il plusieurs cordes à son arc, M. Belvaux ! son immersion dans le monde de la littérature va vous surprendre, mais quand on sait qu’il écrit soigneusement tous ses scenarii avant de tourner, on comprend qu’il est rompu à l’exercice de style.
En fin d’ouvrage, il exprime ses remerciements à Laurent Mauvignier - il a adapté « Des hommes » au cinéma, sur les traumatismes des appelés de la guerre d’Algérie - « pour son aide, son écoute, son regard, sa bienveillance et tout le temps passé ».
Des traumatismes de la guerre, il va en être question. Au début, cela se passe comme dans un film : deux anciens frères d’armes de la Légion Etrangère se retrouvent « par hasard » dans la rue : le premier Skender a basculé, tombant dans la case « prison, picole, rue », il vit comme un clochard, séparé de sa famille, l’autre, Max, a réussi sa reconversion en tant que majordome chez une certaine « Madame », veuve richissime et mystérieuse.
Max a une proposition de travail pour sortir son ex-collègue du trou, ou au moins lui permettre de se racheter auprès de sa famille. Mais Skender risque d’y laisser sa peau : il doit se transformer en gibier dans une chasse à l’homme conduite par Madame qui veut se prouver quelque chose…mais quoi ? La proposition est alléchante car il ne tient plus à la vie, et il a besoin de cet argent pour obtenir le pardon de sa femme et de ses fils.
On s’intéresse à la trajectoire des deux hommes, la reconstruction de leur identité après les combats qui les ont façonnés et meurtris, l’un a honte de ce qu’il est devenu face au regard des passants, l’autre voue une fidélité sans bornes à sa patronne qui l’a initié à l’Art. Mais que reste-t-il de l’amitié virile qui les unissait, de la protection mutuelle qu’ils s’accordaient en tant que soldats ?
Ce roman choral nous fait connaitre les tourments des trois personnages principaux, mais aussi de leur entourage, chacun justifiant ses désirs, inhibant ses peurs, masquant ses sentiments dans un suspense haletant et féroce. Comme dans un bon polar, on se demande sans arrêt comment tout cela va finir.
Le style s’adapte avec souplesse aux tempéraments de chaque narrateur, mais aussi à la progression de l’intrigue, tantôt haletant, comme dans une poursuite cinématographique, tantôt effrayant comme dans un thriller, parfois tendre quand il parle d’amour ou bien sérieux quand il pose les bases d’une réflexion sur l’existence humaine.
L’amour est-il à la portée de ces êtres tournementés par la vie ? Comment réparer les carences d’affections subies pendant l’enfance ? Peut-on guérir des traumatismes de la guerre ? Combien vaut la vie d’un homme ? Jusqu’où est-on prêt à aller pour obtenir l’affection des siens ?
Un roman puissant, percutant, sur l’amour, sur la vie et sur la mort.
(Coup de coeur pour "le Dauphiné libéré" de Colette Lagier)