Après "Naissance d'un pont "son livre précédent, c'est à nouveau une invitation au voyage que nous propose l'auteure; non plus pour la Californie, mais pour la Sibérie. Nous voici embarqués dans le transsibérien entre Krasnoïarsk et Vladivostok. Nous n'aurons à aucun moment envie d’en descendre tant ce récit nous happe et nous tient cloués à notre siège.
Un voyage mythique donc et quel voyage! au bout de la nuit, au bout de l'enfer ou peu s'en est fallu...En tout cas, rien à voir avec celui que l'auteure a effectué avec d'autres écrivains dans ce même transsibérien en juin 2010 dans le cadre de l'année France-Russie si ce n'est la présence majestueuse des paysages sibériens et la rencontre quasi sacralisée avec le lac Baïkal " la plus grande réserve d'eau douce du monde".
Que met en scène ce court roman de 127 pages? toute une population russe régentée par" les provonitsas ", hôtesses chargées de la surveillance des wagons et qui s'affairent auprès des samovars. Et puis plus d'une centaine de conscrits résignés, ne connaissant pas leur lieu d'affectation mais certains du bizutage terrible qui les attend au bout des rails...L'un d'eux, Aliocha, ne se résigne pas lui, au sort qui l'attend et depuis le départ ne pense qu'à une chose: saisir le moment propice pour déserter et échapper à la violence de ce bizutage. C'est Hélène, une française, montée dans le train à Krasnoïarsk, qui, malgré elle dans un premier temps, va l'aider. Elle a quitté brutalement son compagnon Anton pour fuir la Sibérie où ils vivaient, n'y supportant plus son isolement. Elle veut rentrer à Paris mais cette ligne va à Vladivostok. Est-ce un signe du destin?
Et c'est la rencontre plutôt improbable entre ces deux "fuyards" que tout sépare: la langue d'abord, l'âge, le milieu... Dans le couloir ils fument ensemble une partie de la nuit, parviennent à échanger leur prénom puis brusquement, tout bascule. Aliocha réussit à imposer à Hélène sa présence dans son compartiment: elle accepte de le cacher pour une nuit. Son absence vite découverte, une traque sans merci commence.
C'est donc dans ce huit clos du train, puis du compartiment pour finir dans les toilettes, que va se jouer le sort d'Aliocha auquel est liée désormais Hélène. Le piège se referme sur le jeune soldat, les caches devenant de plus en plus improbables tandis qu'au dehors, imperturbable et sans limite, se déploie l'immensité sibérienne métaphore de la liberté tant convoitée. Aliocha réussira-t' il son évasion? Moments intensément dramatiques que l'écriture réussit à restituer au plus près: haletante, hachée, nerveuse et ramassée, quand il s'agit du sort d'Aliocha ; la phrase devient ample, sinueuse et lyrique quand il s'agit d' évoquer ce qui s'offre à notre regard derrière la vitre. Une très belle performance d’écriture.
Exotisme et singularité de l'écriture font de ce roman un moment de lecture très fort à ne pas manquer.
Présentation : Mireille Lamberty