« Je ne sais pas qui est mon père. Je suis face à un reflet qui danse et tremble sur l'eau. Je tente de le capturer, je plonge la main, mais il se dérobe comme les bribes d'un rêve au matin. Il est pourtant là, si près. Insaisissable. Mon père, cet inconnu. »
"Je ne sais rien de la blessure de mon père, arraché de son pays natal". Quand Doan Bui fait ce constat, il est trop tard. Son père ne peut plus parler, à la suite d’un AVC et ses questions jamais posées se heurtent à un mur de silence. Elle ne s’est jamais intéressée à l’histoire du Vietnam. Un jour, pourtant, elle a besoin de partir sur les traces de son père en procédant comme pour n’importe quel article : grand reporter à L’Obs, elle a interviewé beaucoup de migrants. Elle décide d’aller interroger ses proches, de la diaspora et du Vietnam, au grand dam de sa mère. "Ma mère, écrit-elle, est d’une génération et d’une culture où l’on ne parle pas. Parler, c’est perdre la face".
C'est une enquête intime menée comme un polar, un voyage dans les secrets de famille, les exils et la mémoire, de la banlieue du Mans aux ruelles de Hanoï. Un récit, un roman-quête en forme de puzzle, drôle et nostalgique à la fois.
Ce n’est pas gagné : Les langues peu à peu se délient. Du Mans à Hanoi en passant par la préfecture de Paris où on la prend pour "une Chinoise sans papiers parquée dans un appartement ravioli", elle rassemble des bribes d’histoires, découvre des secrets. Une enquête intime, souvent drôle, menée au cœur de "la minorité la plus invisible des minorités visibles".
La lauréate : Doan Bui
Doan Bui est grand reporter à L’Obs. Elle a obtenu le prix Albert Londres en 2013 pour Les fantômes du fleuve, un article relatant l’odyssée des migrants tentant de rejoindre l’Europe via la Grèce. Elle est co-auteur, avec Isabelle Monnin, de Ils sont devenus français (JC Lattès, 2010). D’origine vietnamienne, elle a grandi au Mans.
Sylvain Prudhomme, lauréat 2015 pour Les Grands (L’Arbalète/Gallimard) et membre du jury a déclaré: " Le Silence de mon père de Doan Bui est un livre profondément vrai, d’une auteure qui au fil des pages se réapproprie son histoire, se réconcilie avec elle-même et avec les siens. Un livre généreux, qui écoute magnifiquement les êtres et en même temps accepte leur part d’irréductible énigme. Un livre splendide, que tout le jury est très heureux de saluer ".
De son côté, Doan Bui, lauréate, a exprimé : "Ce prix m'honore profondément comme auteur, car il m'inscrit dans une famille de livres et d'écrivains dans laquelle je me reconnais. Il me touche aussi, de façon plus personnelle, en tant que fille d'immigrés, née en France. Mon identité s'est forgée via les livres : écrire, ça me semblait fabuleux, un travail quasi sacré, mais aussi quelque chose d'inaccessible : "un truc de Français". Et pourtant, écrire, j'en ai fait mon métier. Ce prix, je le vois donc comme une re-connaissance, au sens de "se connaitre à nouveau". Au sens de "réconciliation". Des valeurs au cœur même du message porté par le Musée national de l’histoire de l’immigration, un message ô combien nécessaire dans le climat actuel..."
Le prix littéraire de la Porte Dorée récompense un roman ou un récit écrit en français traitant du thème de l’exil.
(Présentation : Annette Rit)