Cette autobiographie s'ouvre sur un titre bien énigmatique. On en aura l'explication plus loin, dans un récit plein de bruit et de fureur; tragi comédie où la farce côtoie le drame.
Née en 1959, J Winterson est adoptée dès ses premiers mois par un couple de pentecôtistes près de la quarantaine, mariés depuis 15 ans, sans enfant. Ils vivent à Acrington, petite ville minière du nord de l'Angleterre près de Manchester. Son père , ouvrier " aimait regarder le catch à la télévision; sa mère elle, aimait catcher". On destine la fillette à être missionnaire, elle tombe amoureuse à 15 ans d'une fille et sera soumise pour cela, à un authentique exorcisme puisque possédée par le diable, selon sa mère. Nous sommes dans l' Angleterre des années 70! ....
Le ton est donné dès cette première page intitulée " le mauvais berceau". Dérision, ironie décapante, crudité et humour féroce vont accompagner l’évocation des diverses et variées péripéties de sa vie. Une façon d’exorciser des souvenirs douloureux?
Sa mère est une femme au foyer: "120 kilos d'autorité", souvent brutale et morbide. Elle adresse à Dieu cette prière journalière:" Seigneur, laisse-moi mourir". Pas facile dans ces conditions pour le mari et la fille! Elle n'aime personne ne s'aimant pas. Elle n'aime que Dieu mais un Dieu irritable et vengeur, sans compassion. Elle fuit la présence de son mari " faisant des gâteaux toute la nuit pour éviter d'avoir à dormir dans le même lit". Un mari quasi mutique et souvent absent ou au travail ou à l'église. Que devient jeanette dans ce foyer improbable? Elle subit brimades et humiliations de la part de sa mère qui la bat, la jette dehors pour la nuit qu'elle passe dans la réserve à charbon. Elle dira de cette enfance:"j'ai lutté à mains nues toute ma vie. Dans ce genre de combat, le vainqueur est celui qui frappe le plus fort. J'ai été battue dans mon enfance, j'ai appris à ne pas pleurer".
Marginalisée à l'école car s'excluant elle même, elle se tourne alors vers la lecture salvatrice et l'amour consolateur d'une fille du lycée où elle prépare son bac. Elle passe tout son temps à la bibliothèque où elle a conçu le projet de lire tous les auteurs anglais par ordre alphabétique. Elle dit: "Un livre est un tapis volant qui vous emporte loin. Un livre est une porte. Vous l’ouvrez, en passez le seuil. En revenez-vous?" Elle achète des livres qu'elle cache sous son matelas car les romans lui sont interdits. Sa mère les découvre, y met le feu. Exorcisme, autodafé, nous sommes en plein Moyen Age.
De guerre lasse, à 16 ans, Jeanette quitte la maison. Des moments difficiles l'attendent mais le bonheur chevillé au corps elle va lutter avec l'énergie du désespoir pour s'en sortir et conquérir une liberté durement gagnée. Elle cite E. Dickinson:" Ma vie était un fusil chargé" c'est la formule la plus juste pour la destinée hors du commun de cette auteure dont la rage de vivre est communicative et époustouflante. Rien que pour cela, ce beau récit d’apprentissage mérite le détour.
Présentation : Mireille Lamberty