Rick Bass vit dans la vallée de Yaak, au Nord-Ouest du Montana, tout près de la frontière canadienne. C'est une vallée d'une superficie de 191000 kms2, un des derniers endroits des Etats-Unis où on trouve encore beaucoup d'espèces animales et végétales : des lynx, des ours, des grizzlis, des coyotes, des loups, des aigles, des hérons bleus, des faucons pèlerins, des élans ... Les hommes n'y sont pas nombreux, une centaine d'habitants. C'est là que Rick Bass est arrivé, dans ce lieu d'une beauté sauvage extraordinaire, avec sa femme Elizabeth, parce que, pensaient-ils, c'était un lieu propice à la création artistique : "J'écrivais, Elizabeth peignait. J'écrivais dans un endroit mi-serre, mi-cave - à moitié enseveli dans la riche terre noire comme un ours en hibernation, perdu dans mes rêves, mais à moitié immergé dans la lumière, cerné par les senteurs et les saveurs des choses qui poussent - et Elizabeth peignait en plein air, au grand soleil et à l'air vif, lorsque le premier hiver eut pris fin : elle peignait des écharpes de couleur vive et des paysages illuminés.
Nous prenions, nous puisions à pleines mains. Nous nous régalions".
Mais quelques mois plus tard, il va prendre conscience que celle qui est devenue sa vallée, est menacée : "Je ne saurais dire quand les oeillères de l'art - de l'art et rien d'autre - s'écartèrent pour la première fois, à quel instant précis je pris conscience de ce qu'on faisait subir à ce pays - scalpé, soumis aux coupes comme à autant d'incisions chirurgicales - et ressentis un malaise, un mal-être, suffisamment profond pour me faire passer à l'action. Ni à quel moment je me laissai posséder si intimement par cette douleur que je n'eus plus d'autre choix que de réagir".
La vallée est menacée de déforestation totale : les deux tiers des forêts ont déjà été coupées et Rick Bass met alors toute son ardeur à sauver le tiers qui reste. Il commence à faire oeuvre utile en mettant tout son poids pour que la vallée devienne espace protégé. "Un grand roman peut devenir la pierre angulaire d'une littérature consacrée à un endroit et être à l'origine de l'essor de toutes sortes d'idées, comme l'importance des lieux naturels et des espaces sauvages, les notions de beauté et de liberté... L'écriture est capitale à mes yeux, et particulièrement la fiction. Mais il y a des milliers de romanciers dans le monde, et une seule vallée du Yaak. Si je cesse d'écrire des nouvelles, le monde ne s'arrêtera pas de tourner pour autant... En revanche, si quelque chose comme la beauté naturelle de cette vallée vient à disparaître, je crois véritablement que cette perte provoquera un certain déséquilibre - telle une friction, une blessure dont nous aurons du mal à nous remettre..."
Alors Rick Bass se met à écrire des textes de combat, des essais, des chroniques qu'il privilégie pour défendre sa vallée et la faire reconnaître comme espace protégé. Dans ce livre-ci, il dresse un état des lieux de la vallée, nous parle de tout ce qu'il voit et qu'il observe : il court les bois, se faufile entre les arbres des forêts, traverse des rivières agrippé à des troncs d'arbres, escalade des falaises rocheuses... Il observe les animaux qui au crépuscule, sortent des bois pour venir se poster au bord de la rivière et y boire, à deux pas de sa cabane, va à la rencontre des ours dans la montagne, se retrouve face à la masse imposante d'un grizzly... Il nous dit les sentiments et les émotions qu'il éprouve au contact de cette nature qui le nourrit. Il fait de la nature la pierre angulaire de l'humanité car en sauvant la nature, nous nous sauvons nous-mêmes et pouvons continuer l'aventure humaine :
"Il nous faut la vie sauvage pour nous protéger de notre propre violence.
Il nous faut la nature sauvage pour contrer cette culture dans le noir, infinie et tourbillonnante, où s'est précipitée une démocratie branlante, déstabilisée par le big business.
Nous sommes un pays adolescent qui imite les poses viriles des cow-boys Marlboro à la mâchoire carrée qui s'affichent sur Madison Avenue.
Il nous faut la force des lys, des fougères, des mousses et des éphémères. Il nous faut la virilité des lacs et des rivières, la féminité des pierres, la sagesse du calme, sinon du silence"...
(Présentation : Anne-marie Smith)