Nous sommes dans la campagne islandaise en août 1997. Bjarni, vieux paysan taillé dans la lave, est pensionnaire d'une maison de retraite. Mon neveu Marteinn est venu me chercher. Je vais passer le plus clair de l'été dans une chambre avec vue plongeante sur la ferme que vous habitiez jadis, Hallgrimur et toi. Je laisse mon esprit vagabonder alentour....
C'est ainsi que commence une lettre - bien tardive - à sa chère Helga, la femme qu'il a aimée toute sa vie. Sa femme Unnur est morte et il se prépare aussi pour le grand voyage, bien assez de vie a coulé dans ma poitrine.
Bjarni va prendre le temps de répondre à Helga. A travers ce monologue - confession d'une rare intensité, va défiler sa vie d'éleveur de moutons, de pêcheur et de contrôleur du fourrage : une existence simple et rude dans un environnement d'une beauté sauvage, une existence exaltée par la passion charnelle qu'il éprouve pour Helga, Je dépendais de toi. Je l'ai compris là, à te voir dressée dans la lumière de la lucarne, blanche comme la femelle du saumon tout juste arrivée sur les hauts-fonds, embaumant l'urine et les feuilles de tabac....Tes seins frémissaient comme si de blanches vagues déferlaient sous ta peau. Je n'avais rien vu de si beau.
Ce texte qui se lit d'une traite nous fait plonger dans ce monde paysan où les traditions ancestrales sont mises à mal par la modernité. Ce type avait usé ses fonds de culotte sur les bancs de l'école et appris dans les livres que les ovins devaient avoir les pattes courtes....Ce genre de foutaise démolit tout ce que la culture islandaise a édifié ; les gens vont à l'étranger apprendre une connerie qui ne s'applique pas à notre île et ils font tout ce qu'ils peuvent pour saboter et éradiquer nos particularités.
Lorsque Helga demande à Bjarni de partir à la ville pour rester une femme honnête et ne pas laisser la moindre rumeur d'adultère se répandre....coincée dans les gosiers infamants du canton,
celui-ci renoncera à l'amour de sa vie tant son lien à la terre de ses ancêtres est le plus fort.
Il en paiera le prix par un remords et une tristesse qui le tenaillent encore.
Au fond du cœur j'avais bien
- comme tous les autres sans doute -
un fil pour suivre ma route,
mais il ne m'a servi de rien.
Kristjan Oli
L'auteur a appris de son grand-père tous ces détails savoureux de la vie rustique authentique des éleveurs de moutons. Il nous les restitue dans une langue sensuelle, crue et âpre mais aussi drôle et poétique.
Nous, lecteurs, nous refermons ce livre comme envoûtés, sous le charme.
(Présentation : Josette Reydet)