Au début du vingtième siècle, les habitants du Vieux Continent qui vont chercher un
nouveau départ aux Amériques doivent passer par une île au large des Etats Unis, Ellis Island, à l’embouchure de l’Hudson.
Sur cette île les arrivants sont répertoriés puis triés. Il suffit souvent d’un regard suivi d’un geste de l’observateur pour se trouver du mauvais côté, celui où la porte reste fermée, celui où le migrant devra faire le voyage à l’envers, si ses forces le lui permettent. On se croirait aujourd’hui dans d’autres lieux avec d’autres personnes à la recherche de quelque territoire hospitalier…
Dans ce roman, c’est le gardien qui raconte, John Mitchell, le dernier gardien de ce centre de passage obligé de l’immigration européenne fermé en 1954. Dernier directeur des lieux, il reste seul dans les locaux qui ont vu défiler tant de gens, tant d’espoir, tant de crainte, et se souvient. Des espoirs brisés à la descente du bateau, des jours passés dans l’incertitude d’une décision, de ce lieu pour eux sans âme, plus tout à fait le pays natal, pas encore l’Amérique rêvée, de ses collègues aussi, de leur façon de gérer l’arrivant, avec bienveillance pour certains, absence d’humanité pour d’autres.
Il se souvient aussi de sa façon à lui de respecter ou transgresser la loi, et sa réaction face à un anarchiste, un communiste, un handicapé. Et puis de ses sentiments, de l’histoire d’amour vécu quelques trop courtes années, du passage d’une jeune femme qui l’a bouleversé et de sa violence dont le souvenir le hante à jamais.
Pas de révolte pour les difficultés de ce parcours, pas non plus de culpabilité, juste une quête de sens que le personnage nous livre au fil des pages de ce journal intime, un besoin de se libérer si c’est possible avant de partir de ce qui fut sa vie dans cette île, assortie d’un constat « c’est ainsi ».
A travers ce récit, c’est une part de l’histoire du siècle qui nous est contée, et les deux présentent des facettes qui nous interpellent et nous touchent avec délicatesse et sensibilité sous la plume de Gaëlle Josse dont l’écriture est juste, sans pathos, avec ce que l’émotion et la tolérance humaine peuvent accepter.
(Présentation : Annie Contin)