Gap -  Hautes-Alpes

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Le livre de Yamen Manai "Bel abîme" a été sélectionné par l'Agence régionale du livre PACA dans le cadre du Prix littéraire des lycéens

et des apprentis 2022_23 . Ce prix propose aux lycéens et apprentis des établissements de la région PACA inscrits, de participer à un

jury pour voter pour leur roman et leur BD préférés parmi une sélection de 10 titres. A la lecture s'ajoutent des rencontres avec des

auteurs

 

 

C'est dans ce cadre que des lycéens du lycée Dominique Villars ont pu rencontrer Yamen Manai, rencontre qui s'est prolongée le soir à

la Médiathèque de Gap où Claudine (Littera 05) et Cécile (Médiathèque de Gap) l'ont interviewé.

 

Extraits de cette interview

L'auteur :

Né à Tunis en 1980, Yamen Manai est écrivain depuis une quinzaine d’années. Ingénieur de formation, il vit dans la région parisienne où il exerce le métier d'ingénieur.

Le livre : Bel abîme :

Le narrateur, jeune ado tunisien d’une quinzaine d’années, se retrouve en prison. Face à un avocat commis d’office pour le défendre, il se laisse aller à une sourde colère, face aux charges qui pèsent sur lui. « Les charges qui pèsent sur moi sont lourdes ? Vous croyez qu’elles datent de cette nuit, les charges qui pèsent sur moi ? Laissez-moi vous dire : depuis que j’ai ouvert les yeux sur ce monde, je le sens peser sur moi de son poids injuste, et je m’y suis habitué… »
Ce qui va arriver plus tard, c’est ce que le jeune narrateur va raconter à l’avocat et à un psychologue,  des faits de violence qui vont l’amener à son arrestation.
On ne connaitra pas le nom de ce garçon : il est le symbole de cette jeunesse qui n’arrive pas à se faire entendre dans la Tunisie actuelle et même de tout temps. On a souvent dit que la révolution tunisienne de 2010-2011 était celle des jeunes, ce qui est vrai ( c'est l'immolation par le feu d'un jeune vendeur ambulant qui a été à l'origine des manifestations) ; mais quand Ben Ali est parti, ça a été le retour des patriarches et les jeunes n’ont plus été entendus ni compris.

Dès le début du roman on entend la rage et la violence du garçon : une violence physique, mentale, viscérale. Où êtes-vous allé chercher cette violence ?

Le livre est né suite à un amoncellement de violences qui s’est déroulé au parlement tunisien. Suite à la révolution, on a obtenu un simulacre de démocratie et on a donc des élus au Parlement . Un jour j’ai voulu écouter les discussions au Parlement  autour de lois charnières qui devaient servir les intérêts d’une certaine frange de la  population, celle du parti islamiste qui est au pouvoir. Ces projets étaient contestés et j’ai voulu voir comment ils étaient discutés au Parlement.  Des extrémistes ont frappé des élus de l’opposition, des femmes en particulier. Voir ces gestes violents m’a choqué et m’a amené à m’interroger sur la violence : est-ce qu’elle caractérise notre société ?  ou n’est-elle qu’anecdotique ?  L’ image qu’on a de la société tunisienne est assez erronée : hospitalière ? paisible ? une image de carte postale dont on ne connaissait pas l’envers. Savait-on que la Tunisie est, selon l’Unicef,  le 4e pays au monde où l’enfant subit des violences familiales ?C’est un pays où on aime bien éduquer les enfants à la dure, la baffe part assez facilement, les enfants ne sont pas écoutés, pas considérés… une société patriarchale qui se retrouve à toutes les strates de la société. Le jeune ado du livre est d’une famille de classe moyenne.

Dans un premier temps le narrateur du livre va trouver un moyen de résister à cette violence. Ce moyen c’est la découverte de la puissance des mots, ce que va lui donner la lecture.

Je me suis inspiré de ma propre relation avec les livres. Dans les années 80 les enfants n’avaient pas beaucoup de loisirs, à part le vélo et le ballon. L’été, pour éviter la canicule, l’après-midi on était enfermé, c’est ce qui m’a permis de découvrir le pouvoir de la lecture grâce à la bibliothèque de mes parents. Le narrateur lui, trouvait dans la lecture un refuge pour éviter la violence des autres. Et cette cachette est devenue une passion pour lui et lui a appris les mots qui lui permettront de se défendre et de plaider sa cause.

C’est aussi une charge contre la société tunisienne qui lit peu. Un dictateur n’a pas vocation à ce que son peuple soit instruit. Sous Ben Ali la nourriture spirituelle se tarissait. Des médiathèques, des maisons de jeunes, des cinémas, des théâtres ont été peu à peu fermés. Tout élan créatif ne trouvait pas de relais et il y avait un bureau de censure. Dans les manuels scolaires les textes qui parlaient de liberté, de luttes contre le colonialisme, d’injustice ont petit à petit disparu. On est rentré dans une phase de sommeil profond et les seuls intellectuels qu’on pouvait entendre étaient ceux qui faisaient la cour au régime ; leurs paroles n’étaient plus crédibles et les gens ne lisaient plus. Le désamour entre les Tunisiens et les livres s’est installé. Il faut réhabiliter le livre et suivre la devise de Nelson Mandela ; « Une nation qui lit est une nation qui gagne ».  Aujourd’hui on essaie de changer la donne. Mon éditeur ELYSAD qui est un éditeur tunisien  est très militant en Tunisie et aussi en France car il veut arriver à faire remonter des choses du Sud vers le Nord et non pas toujours du Nord vers le Sud. On essaie de donner de la crédibilité à des voix qui méritent d’être entendues.

Cette parole justement, direz-vous qu’aujourd’hui elle est libre en Tunisie ? elle est moins censurée ?

Après la révolution, le grand acquis c’est la liberté associative. Sous Ben Ali il était interdit de créer des associations. Aujourd’hui il existe même des associations qui traitent de sujets que l’on n’avait pas envie de voir, : celles des homosexuels, des mères célibataires, de l’environnement … Il existe des radios libres où les gens parlent de sujets tabous jusqu’ici. Mais il y a encore des paroles qu’on n’entend toujours pas, celles des jeunes en particulier qui ont du mal à faire entendre leurs revendications. On n’est pas capable de leur donner ce qu’ils réclament, un monde meilleur. Un million d’élèves sont déscolarisés sur une population de 12 millions ! Beaucoup essaient de partir clandestinement ailleurs.

Dans Bel Abîme, le narrateur va trouver une arme dans la force des mots. Et puis va naître une relation d’amitié très forte qui va lui permettre de résister. Il va même se transformer physiquement, ce qui va l’aider à résister à son père. Cette relation d’amitié va vous permettre de parler d’écologie, de votre attachement à la terre, aux plus faibles. Thèmes qui vous tiennent particulièrement à cœur.

Oui, je trouve que l’être humain se réduit à ce qu’il pense être, l’être élu parmi les espèces pour lequel la terre est consacrée, à l’image de Dieu tout puissant. Mais moi dans mes écrits, j’inscris l’homme dans son écosystème et je montre combien le rapport de l’homme à la terre, à l’animal peut être enrichissant. Je ne crois pas à l’homme tout puissant qui veut soumettre la nature à ses désirs, qui modifie les paysages à sa guise, comme les stations de ski par ex où les paysages sont transformés, comme les autoroutes qui défigurent les paysages..

Votre livre est un long monologue où se mêlent poésie et langage plus vulgaire.

J’ai écrit ce livre en une semaine.  J’avais l’impression que la voix du narrateur m’était dictée, que j’avais capté une fréquence, qu’il était derrière moi et même qu’il me fouettait pour que je continue. Pendant une semaine je n’ai fait qu’écrire. Très peu de choses ont été prémédités ; il y a une grande part d’inconscient dans ce livre. Cette réussite je la dois à cette spontanéité de l’écriture. Il y a de la vulgarité parce qu’on est avec un adolescent qui emploie ces mots. Et il y a après la découverte de l’amour, la première rencontre qui est très poétique et qui vient contrebalancer le côté cru  qu’on peut rencontrer au début du texte.

Et le titre ?

Un titre fait d’un oxymore, qui ne dévoile pas tout, un peu ambigu, qui fait sens au fur et à mesure de la lecture.

 


La Presse de Tunisie