Gap -  Hautes-Alpes

La bête qui meurt

Philip Roth

Gallimard , 2004

 

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David Kepesh est un ancien professeur d'université de 70 ans; il raconte à un ami une aventure amoureuse qu'il a vécue huit ans plus tôt, avec une de ses étudiantes d'origine cubaine, qui suivait son cours sur la critique artistique. Consuela est une fille superbe, aux "seins somptueux"; il la comparera un jour, quelques années plus tard, au " nu typique de Modigliani, jeune fille de rêve longiligne, accessible, qu'il peignait régulièrement... un nu aux seins opulents, légèrement évasés, pour lequel elle aurait pu poser elle-même". Dès le premier instant où il l'a vue arriver dans l'amphithéâtre, David sait qu'elle sera la prochaine sur la liste déjà bien longue des jeunes étudiantes qui, l'une après l'autre, succombent à son charme , lui qu'elles voient comme un brillant intellectuel.
David a vécu la révolution sexuelle des années 60 (qu'il nous décrit longuement dans son roman); il achoisi la liberté en envoyant promener femme et enfant d'un premier mariage et en refusant tous les tabous imposés par la société puritaine américaine. Il passe d'une conquête à une autre sans jamais s'attacher. Ces belles étudiantes , "une génération de fellatrices stupéfiantes comme on n'en avait jamais vu dans leur milieu", n'ont d'intérêt que parce qu'elles satisfont sa libido : "l'art du flirt à la française me laisse froid. Moi, ce qui m'intéresse, c'est l'impératif sauvage".
Et quand il rencontre Consuela, David, qui se rapproche du crépuscule de sa vie, prend conscience que son corps peut le trahir un jour ou l'autre, même si sa santé sexuelle est encore impressionnante. Mais les années s'ajoutent les unes aux autres et il sait que la bête meurt inexorablement en lui.. Alors il se lance à corps perdu dans cette nouvelle liaison mais voilà que cette fois-ci quelque chose de nouveau va lui arriver : il va connaître les affres d'une terrible jalousie : "Où sont donc la plénitude, le sentiment de possession que tu devrais connaître ? Puisque tu l'as, comment se fait-il que tu ne l'aies pas, cette fille ? Tu n'as pas ce que tu veux, alors même qu'on te le donne. Pas de paix possible,, aujourd'hui ni demain, à cause de notre différence d'âge, différence que je vis douloureusement, comme de juste. A cause de cette différence d'âge, jusque dans le plaisir le manque demeure. Ca ne m'était donc jamais arrivé ? Non, c'était la première fois que j'avais soixante-deux ans".
Sa liaison avec Consuela va durer un peu plus d'un an et demi. Les années qui suivent la rupture sont atroces pour lui, son absence lui est insupportable, "le manque est sans répit"... Et un jour, six ans plus tard, elle lui laisse un message sur son répondeur : "Il faut que je te dise quelque chose. Je veux te le dire moi-même avant que tu l'apprennes par quelqu'un d'autre..." Et ce qu'elle va lui apprendre va être pour lui une douloureuse révélation...

On retrouve dans ce long monologue les obsessions chères à Philip Roth : le désir, la vie palpitante, le pouvoir érotique du corps, la sexualité masculine, la vieillesse, la mort, "la bête qui meurt", la liberté individuelle, les frustrations du mariage, la famille, la révolution sexuelle et la contestation des années 60, et aussi bien sûr l'Amérique, l'Amérique puritaine surtout que Roth déteste : "Sauver les jeunes du sexe, telle est l'éternelle histoire de l'Amérique". Et l'on sort assez déprimés de ce roman : les dernières pages sont particulièrement sombres mais aussi particulièrement belles.

Des extraits de "la bête qui meurt"

..."Tu montes dans le bus. Tu y vois une créature si somptueuse que personne n'ose s'asseoir à côté d'elle. A côté de la plus belle fille du monde, il y a un siège et il est vacant. Alors, tu le prends. Mais je n'en suis plus là, plus jamais je ne connaîtrai le calme, la paix. ça m'inquiète qu'elle se promène avec ce chemisier. Sous la veste, le chemisier. Et sous le chemisier, la perfection. Un jeune homme va la trouver, et il va l'emporter. Il va me la voler à moi, qui ai mis le feu à ses sens, qui lui ai donné sa stature, moi le catalyseur de son émancipation, moi qui l'ai préparée pour lui.
Comment est-ce que je sais qu'un jeune homme va me l'enlever ? Parce que je fus, jadis, le jeune homme qui l'aurait fait"...

David parle de son fils qui a maintenant 42 ans, un fils qu'il a "laissé tomber"..."il a fallu que je le trahisse, ce qu'il ne me pardonne pas et ne me pardonnera jamais".
..."Je suis son père Karamazov, cette force vile et monstrueuse qui le lèse, lui le saint de l'amour, l'homme du droit chemin, et lui inspire des envies parricides comme s'il était les frères Karamazov à lui tout seul. Les parents sont des figures légendaires dans l'imagination de leurs enfants, et la légende qui m'est dévolue, elle est dostoïvskienne, je le sais depuis la fin des années soixante-dix, où j'ai reçu par courrier une de ses dissertations. Il était en deuxième année à Princeton, et cette dissertation sur "les frères Karamazov" avait obtenu une note excellente.... A cette époque il était obsédé par notre éloignement, et comme de juste,sa dissertation tournait autour du personnage du père, sybarite dépravé, vieillard libidineux et solitaire entouré de ses jeunes maîtresses, bouffon insigne installant un harem de femmes dissolues dans sa demeure, père qui, tu t'en souviens peut-être, abandonne son premier enfant et l'ignore comme les suivants, parce que, écrit Dostoïevski, "un enfant l'aurait encombré dans ses débauches". Ah, tu n'as pas lu "les frères Karamazov" ? Tu devrais, c'est réjouissant, ne serait-ce que pour le portrait du père indigne avec ses vices et ses dépravations"...

... La seule chose qu'on comprenne chez les vieux, quand on ne l'est pas soi-même, c'est qu'ils ont été marqués par leur temps. Mais comme on ne comprend que ça, on les fige dans leur temps, ce qui revient à ne rien comprendre du tout. Pour ceux qui n'ont pas encore atteint la vieillesse, elle signifie qu'on a été. Seulement la vieillesse, ça veut aussi dire que malgré son avoir-été, ou en plus de lui, en prime de lui, on est encore. L'avoir-été est vivace. Mais en même temps, on est toujours là, et on est habité par cet être-là dans sa plénitude, tout autant que par l'avoir-été, la passéitude. Figure-toi la vieillesse en ces termes : tu risques ta vie au quotidien. Tu n'échappes pas à la conscience de ce qui t'attend à brève échéance, ce silence qui va t'entourer pour toujours. A part ça, c'est pareil. A part ça, on est immortel, tant qu'on est vivant...

David et Consuela regardent à la télévision les festivités qui accompagnent à travers le monde l'arrivée de l'an 2000
...Toute la soirée, sur toutes les chaînes, ça a été cette parodie de l'Apocalypse que nous attendions dans nos abris depuis le 6 Aoüt 1945. Il fallait bien que ça arrive un jour. Même cette nuit-là, cette nuit-là surtout, les gens s'attendaient au pire, comme si toute la soirée n'avait été qu'un long exercice d'alerte aérienne. On attendait qu'un chaîne d'abominables Hiroshima lie dans sa destruction synchrone les civilisations pérennes du monde. Maintenant ou jamais. Ce fut jamais. Le désastre final n'est pas venu ce jour-là ni depuis, il ne viendra jamais : qui sait si ce n'est pas ce que tout le monde est en train de fêter ? Le désordre du monde est un désordre sous surveillance, ponctué d'entractes pour vendre des voitures. La télé fait ce qu'elle sait faire le mieux : elle accomplit le triomphe de la banalisation sur la tragédie, le triomphe de la Surface, présenté par Barbara Walters. Plutôt que la destruction de cités millénaires, l'éruption internationale du superficiel, l'explosion mondiale d'une sentimentalité inédite même pour les Américains. De Sydney à Bethléem puis Times Square, on recycle les clichés à une vitesse supersonique. Pas de bombe, pas d'effusion de sang, la prochaine détonation sera le boom de la prospérité et l'explosion des marchés. Sitôt qu'on ouvre les yeux sur le malheur ordinaire de notre époque, on est anesthésié par la stimulation panavisuelle de l'Illusion avec un grand I. A regarder les feux du grand soir dans cette superproduction dopée, j'ai le sentiment de voir le monde de l'argent entrer joyeusement dans un obscurantisme prospère. Une nuit de bonheur humain pour présenter notre site barbarie.com. Pour réserver au nouveau millénaire merdo-kitsch un accueil digne de lui. Une nuit regrettable, mémorable" ...

(Présentation : Anne-Marie Smith)